Le surströmming, quand la Suède en fait tout un plat
Certains l’affectionnent, d’autres l’abhorrent. Dans tous les cas, le surströmming ne laisse personne indifférent.
Auréolé de son titre de “nourriture la plus puante au monde”, ce mal-aimé de l’alimentation suédoise revient sur le devant de la scène culinaire grâce à son récent buzz médiatique et à d’inconditionnels fervents de ce poisson fermenté.
Au point aujourd’hui de devenir progressivement un emblème de la gastronomie nordique.
Avant tout réputé pour son odeur pestilentielle, le surströmming est bel et bien un OVNI dans l’art de vivre épuré scandinave. Alors, le surströmming, ce hareng fermenté de plusieurs mois – voire années – peut-il redorer son image de bad boy de la cuisine suédoise ? L’instant nordique vous explique tout sur le surströmming.
Qu’est-ce que le surströmming ?
Vous l’aurez compris, le surströmming n’est pas le dernier meuble en kit venu du nord de l’Europe, mais bien une spécialité suédoise à la renommée internationale. On connaissait le saumon de Norvège (dont l’élevage intensif pose question), on pourrait bientôt voir débarquer le surströmming suédois dans nos assiettes. Encore faut-il que cette recette de hareng fermenté outrepasse les critiques. Car oui, le surströmming sent fort, très fort. Ne vous en inquiétez pas, il vous le rendra bien.
Cette mauvaise presse découle de son processus de fabrication, issu des méthodes de conversation séculaire. Un processus long et exigeant, indispensable pour faire ressortir les saveurs si reconnaissables du surströmming.
Le surströmming, un met traditionnel jusque dans le packaging. ©Röda Ulven
Chaque printemps, les harengs sont pêchés en mer Baltique puis ramenés dans les ports du royaume scandinave. Là, les têtes des poissons sont alors retirées pour ne garder que les corps, stockés dans une série de solutions d’eau salée. Après deux mois environ, les harengs partiellement conservés sont placés dans des boîtes hermétiques où ils continueront à fermenter durant le reste de l’année. Au minimum. Il est ensuite consommé accompagné de pommes de terre, de pain suédois et d’aromates fraîches, à l’image des smørrebrød danois.
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Ce plat populaire, largement décrié aujourd’hui, possède pourtant quelque chose de noble. Mieux, par extrapolation, on pourrait dire que le surströmming est en réalité un plat royal. Ainsi, sans un décret royal du XXe siècle instaurant l’impossibilité de vendre le hareng avant le troisième jeudi d’août, cette recette n’aurait sans doute jamais vu le jour.
À cette époque, les pêcheurs n’ont eu d’autre choix que de plonger les harengs (strömming) dans des eaux aigres (surs-) pour favoriser une meilleure conservation. Cette ordonnance étant caduque aujourd’hui, les habitants du nord de la Suède – sur les rives de Hoga Kusten notamment – commémore encore cette date à l’occasion du “surströmmingspremiären”.
En fait-on toute une histoire avec le surströmming ?
Un aliment avec une telle célébrité doit avoir un lourd passé, pensez-vous ? Vous auriez incontestablement raison, tant le surströmming s’est imprégné dans l’histoire de la culture suédoise. Une histoire aussi riche que les calories qu’il comporte et aussi savoureuse que l’odeur qu’il dégage.
Deux théories sont avancées sur la genèse du surströmming. La première évoque un groupe de marins suédois, partis faire du commerce en Finlande, qui aurait vendu un tonneau de « mauvais » hareng. À court de sel pour conserver les poissons jusqu’au rivage, ils auraient néanmoins décidé de tenter leur chance dans les ports finlandais en contrepartie d’une ristourne.
En revenant quelque temps plus tard au pays des mille lacs, quel ne fût pas leur étonnement lorsque les habitants demandèrent d’autres stocks de harengs pourtant à moitié pourris ! Face à cet élan, les marins auraient alors goûté leur propre poisson, encore abasourdi par ce succès involontaire. De retour en Suède, ils auraient entamé un tour des marchés alimentaires du pays pour proposer leurs harengs fermentés. Cette campagne de communication rudimentaire deviendra par la suite la source de la fierté culinaire nationale que l’on connaît aujourd’hui.
La tête que vous ferez sans doute en ouvrant une boîte de harengs fermentés. ©Gurky
L’autre version, moins glorieuse, fait davantage écho à l’aspect royal du surströmming. Au XVe, le roi Gustav Vasa doit composer avec des troubles populaires qui essaiment un peu partout dans le royaume. L’une des raisons de la fronde : la pénurie de sel pour la conservation, faisant des longs mois d’hiver une véritable épreuve pour se nourrir. Contraints d’innover pour rendre consommables les aliments pendant plusieurs mois, les Suédois auraient donc naturellement placé des réserves de poissons dans de l’eau acidifiée… et le surströmming était inventé !
Avant eux, et même bien avant les Vikings, les hommes installés en Scandinavie avaient déjà trouvé des méthodes de fermentation du poisson, dans le sud de la Suède par exemple. Des chercheurs ont découvert 200.000 arêtes contenues dans des ballots avec de l’écorce de pin et de la graisse de phoque, le tout recouvert de peau de sanglier. Les poissons n’étaient pas salés, car la découverte est antérieure au sel, mais ils étaient placés dans le sol pour fermenter.
Une idée cadeau de Noël ? Un pack complet de surströmming, de la bouche au pieds. ©Svensk Husman
Hareng fermenté, nez sensible s’abstenir
La spécificité si connue du surströmming dont le plat tire sa notoriété internationale n’est autre que son odeur. Nauséabondes, écœurantes, innommables : difficile de décrire correctement les émanations qui s’échappent de ces harengs fermentés pour celui ou celle qui s’y est déjà confronté.
D’après une étude sérieuse d’un centre de recherche japonais, l’odeur du surströmming a été classée parmi l’une des plus putride au monde. Pour vous donner une idée, le surströmming devance le Hongeo-hoe coréen (de la raie fermentée pendant plusieurs années), le nattō japonais (du soja fermenté possèdent des bactéries intestinales) et le plus piquant des fromages en boîte – le fameux durian, le fruit asiatique, n’intégrant même pas ce classement.
Oskars, la marque emblématique du surströmming. ©Oskars.se
L’art de la dégustation du surströmming
Une saveur semble avoir été inventée spécifiquement pour la dégustation du hareng fermenté : l’umami. Cette 5ème saveur – en plus du sucré, du salé, de l’acide et de l’amer – provient d’un terme japonais qui désigne un goût qui tapisse la langue et reste longtemps en bouche. Difficile à trouver dans sa forme cuisinée en Europe, elle est pourtant universelle puisque l’umami fait partie des premières saveurs que l’on connaît à travers le lait maternel. L’ensemble des techniques culinaires que l’homme a développées dans sa quête de la sapidité (fermentation, séchage, maturation, longues cuissons) ont pour résultat cette cinquième saveur qui concentre la matière.
Les amateurs de harengs fermentés sont donc attirés par sa riche saveur umami, en défendant la relative sobriété du goût comparé à l’odeur que le surströmming dégage. À peine le hareng en bouche, son caractère puissant embaume l’ensemble du palais, passant du sensation crémeuse à l’aigre. Chaque mâchée redonne vit au goût si particulier, c’est pourquoi il est recommandé de l’avaler rapidement accompagné de pommes de terre ou d’une petite dose d’aquavit, un alcool suédois proche de la vodka, ou l’un des vins scandinaves en vogue. Traditionnellement, on tartine un morceau de tunnbröd – un pain plat suédois – de surströmming, sur lequel on appose des oignons tranchés, de la crème et de la ciboulette.
Attention : en Suède, on ne badine pas avec le surströmming ! Sa dégustation est une activité sociale à part entière qui porte un nom : la surströmmingsskiva, c’est-à-dire la fête du surströmming. Il vous est conseillé de bien choisir vos amis avec qui partager ce moment ; son odeur putride pourrait mettre mal à l’aise plus d’un novice. Sinon, vous pouvez vous exiler pour déguster les harengs, à la manière de Bröd för en, le restaurant qui ne sert qu’un couvert par jour.
Vous allez régaler vos convives avec une telle talbe. ©MatMalin.se
Le surströmming, une explosion d’odeurs à l’ouverture
Petite subtilité si, en lisant cet article, vous avez encore envie de tenter l’expérience du surströmming : l’ouverture de la boîte de conserve. Loin d’être un acte anodin, un protocole est à respecter car les gaz libérés dus à la fermentation pressurisent et peuvent déformer l’étain hermétique. Autrement dit, la boîte de conserve peut littéralement exploser entre vos mains. Imaginez les conséquences d’une telle catastrophe…
Nous vous recommandons donc d’ouvrir votre boîte de surströmming à l’extérieur, dans un espace aéré, de la plonger dans un sceau d’eau et de la percer avec un ouvre-boîte. L’eau emprisonnera alors le jus – et certaines odeurs incommodantes. La technique du sceau d’eau empêchera également la boîte de vous exploser au visage.
Vous pensiez que l’expérience s’arrêtait là ? Détrompez-vous ! La prochaine étape consiste à vider, rincer et éviscérer les poissons. Car oui, le surströmming traditionnel est un hareng fermenté… entier. Dit crûment, la boîte de conserve regorge de viscères de poisson pourri avant de pouvoir savourer ce plat typique suédois. Ce n’est seulement qu’après avoir nettoyé complètement les poissons que vous pourrez passer à table. Bon appétit !
En toast, le surströmming paraît inoffensif. ©Pinterest
Surströmming challenge et faits insolites
Il est tellement spécial que la dégustation de harengs fermentés possède son propre défi : le surströmming challenge. Deux options sont acceptées ; pour les plus frileux, se contenter d’ouvrir simplement la boîte et de humer l’odeur pendant quelques secondes ; les plus aventuriers iront jusqu’à avaler quelques morceaux de poissons. L’important, c’est de participer ! Un conseil à garder en tête si vous voulez vous lancer dans ce défi : bien respecter la méthode d’ouverture de la boîte de surströmming.
Preuve que sa distinction d’odeur la plus puante de la gastronomie mondiale n’est pas volée, le surströmming est par exemple interdit par la plupart des compagnies aériennes. Cela n’a pas empêché ses défenseurs de lui consacrer un musée, le Fiskevistet, ouvert en 2005 à Skeppsmalen dans le nord de la Suède.
Comme la plupart des sujets clivants, le surströmming entretient ses mythes et légendes. L’une d’entre elles raconte qu’en 1981, un propriétaire allemand aurait expulsé un locataire sans préavis après que celui-ci ait répandu de la saumure de hareng fermenté dans la cage d’escalier de son immeuble. Lorsqu’il a été traduit en justice, le tribunal s’est prononcé en faveur de la résiliation du contrat. Pour quelle raison ? Car les avocats du propriétaire auraient ouvert un bidon de saumure dans la salle d’audience. Le tribunal aurait déclaré qu’il « s’était convaincu que l’odeur dégoûtante de la saumure de poisson dépassait de loin le degré que les autres locataires de l’immeuble pouvaient tolérer ».
Vous envoyez expérimenter le surströmming ? Vous avez envie d’essayer ? Partagez vos impressions en commentaires !
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Passionné de voyages et amoureux des pays nordiques, Vincent est le fondateur de L’instant nordique. Depuis toujours, il aime manier la langue de Molière pour partager ses aventures. Après avoir vécu à Helsinki et en Suède, il prête désormais sa plume en tant que rédacteur freelance pour de nombreux médias. Son unique crédo : explorer l’inexploré.
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